Mieux comprendre la polarisation politique aux États-Unis

Le paysage politique et social américain est de plus en plus marqué par une polarisation extrême entre républicains et démocrates. Cette notion de polarisation a traditionnellement fait référence aux politiques de chaque parti qui divergent de plus en plus. De cette manière, on pourrait se focaliser sur Trump qui semble avoir tiré l’idéologie et les politiques du Parti républicain vers l’extrême droite alors que le camp de Bernie Sanders au sein du Parti démocrate semble avoir tiré le Parti vers une voie plus progressiste. Cependant, des études ont montré que cette polarisation idéologique est plutôt stable.

Une autre définition de la polarisation, plus relative à cet article, concerne l’aversion entre républicains et démocrates. Il s’avère que cette polarisation peut se comprendre avec une perspective basée sur la psychologie sociale et l’identité. Cette perspective, qui sera au cœur de cet article, vise à aider tout étranger souhaitant vivre aux États-Unis ou travailler avec des Américains à mieux comprendre les profondes divisions qui caractérisent tant la société américaine.

Cet article s’appuie largement sur des arguments du livre Uncivil Agreement : How Politics Became Our Identity de Liliana Mason. À noter aussi que l’article ne vise pas à fournir une explication complète du phénomène de la polarisation, mais plutôt de proposer une perspective alternative, qui pourrait potentiellement donner des éclairages pour analyser d’autres démocraties.

Démocrates et républicains : des groupes d’appartenance en conflit

Plutôt que de voir la polarisation comme un désaccord républicain-démocrate basé sur l’idéologie politique, cet article considère plutôt que les partis et leurs partisans constituent deux groupes en conflit l’un contre l’autre. Il est alors possible de comprendre le contexte social aux États-Unis avec des apports de la psychologie sociale et plus précisément, des recherches sur les confits intergroupes qui sont souvent fondés sur l’identité et une mentalité de « nous contre eux ». Des études biologiques ont montré qu’il est naturel que les humains veuillent appartenir à un groupe et que ces appartenances créent un attachement à son groupe sans forcément créer un mépris envers les autres. C’est seulement lorsqu’il y a un conflit entre les groupes que ce mépris se développe. Les conflits hargneux entre groupes aux États-Unis ne sont pas nouveaux, on peut citer notamment les turbulentes années 1960, mais il est plus récent que les deux côtés d’un conflit sont presque exclusivement associés aux camps républicains et démocrates.
 
En étudiant les effets des réseaux sociaux sur la polarisation, M. Sabin-Miller et Dr. Abrams ont observé la consolidation des opinions d’un utilisateur dû à une plus forte exposition à du contenu conforme à ses opinions. De plus, ils ont trouvé que l’exposition a des contenus du camp opposé sur les réseaux sociaux crée une répulsion, qui serait une force psychologique plus forte que l’attirance vers son côté. Selon ces chercheurs, les hackers russes ayant interférés avec les élections présidentielles américaines ont justement identifié la force de cette répulsion comme outil pour faire promouvoir leurs intérêts.
 
Liliana Mason souligne donc que la polarisation ne représente pas seulement des forts désaccords sur des sujets politiques, mais aussi de l’aversion envers l’autre groupe. Cette aversion crée une détermination suprême pour « gagner » et « battre l’autre parti ». Ceci est généralement reflété et accentué par les médias qui ont tendance à présenter les processus législatifs comme des victoires ou défaites. Adopter un projet de loi devient ainsi une victoire pour un parti et une défaite pour l’autre, ce qui a pour conséquence de minimiser les compromis puisqu’ils sont alors perçus comme des défaites. Un exemple concret concerne les armes : des sondages ont montré qu’après la fusillade dans l’école de Sandy Hook en 2012, 90 % des Américains et 86 % des républicains soutenaient une vérification d’antécédents avant l’achat d’une arme, mais seulement 56 % des républicains soutenaient une résolution montrant qu’une abdication politique ne serait pas acceptable.
 

Des identités regroupées dans un parti

De plus en plus, des identités sont associées à un parti politique. Les statistiques des dernières décennies montrent que les républicains regroupent de plus en plus les Américains blancs, religieux, ruraux, et les hommes. Les démocrates sont plus ou moins associés avec les autres identités, notamment les minorités raciales, les citadins et les femmes. Cette tendance à voir des identités réparties dans chaque groupe renforce l’attachement au parti politique car les identités se renforcent. Par exemple, un homme républicain blanc, chrétien et vivant à la campagne aurait tendance à sentir une appartenance particulièrement forte à son parti, car il partage ces autres traits identitaires avec beaucoup plus de républicains que de démocrates. Tenant compte des conflits entre républicains et démocrates, ce fort attachement peut alors augmenter son aversion envers les démocrates.

 

Choisir un parti en fonction de ses opinions politiques, ou vice-versa ?

Il semblerait naturel que les individus aient leurs opinions politiques qui les mènent à s’affilier plus ou moins à un parti politique. Cependant, des recherches ont montré que l’attachement des Américains à leur parti peut être si fort, que c’est aussi la position adoptée par un parti qui forgera l’opinion politique des partisans.
 
 
Comme Liliana Mason, Achen & Bartels argumentent dans Democracy for Realists: Why Elections Do Not Produce Responsive Government que les électeurs, même informés et engagés, font des choix politiques plutôt en fonction de leurs identités sociales et leur loyauté envers leur parti plutôt que sur leurs opinions sur les sujets politiques. Ainsi, plutôt que de se dire que les individus votent pour le candidat d’un parti politique uniquement car ils ont des valeurs et opinions politiques similaires à celles incarnées par le candidat, il faut adopter la perspective que les individus appartiennent aussi à des groupes sociaux et que ces sentiments d’appartenance influent sur leurs comportements politiques.

 

Des attachements qui brouillent la réalité

Non seulement l’opinion politique des électeurs peut être forgée par la position adoptée par leur parti, la perception de la réalité et des faits peut l’être aussi. En effet, Liliana Mason argumente que les humains sont enclins à voir le monde de manière à valoriser leurs groupes d’appartenance. Elle cite en exemple une étude qui a montré que les Américains ont tendance penser que l’économie est en mauvais état lorsque leur parti rival est au pouvoir et que cette perception peut s’inverser très rapidement après une élection gagnée par leur parti, mais avant que des nouvelles politiques puissent avoir un réel impact sur l’économie.
 

L’interculturel dans tout ça ?

D’abord, cet article est un des innombrables exemples illustrant qu’un pays n’est pas une culture. Amalgamer toutes personnes d’un pays en un groupe homogène peut facilement créer des préjugés, des malentendus, et de généralisations nocives.
 
Ensuite, gardant en tête les idées de la psychologie intergroupe appliquées aux républicains et aux démocrates, nous voyons qu’il est normal de s’attacher à un groupe qui fait partie de notre identité, dont les groupes culturels. Cependant, si un conflit entre deux cultures émerge, il faut contrôler tout sentiment d’aversion envers l’autre, ne pas mettre tout membre de cette culture dans une case et éviter de perdre le fil de la réalité.
 
Enfin, alors que cet article ne donne qu’un minuscule aperçu de la complexité des divisions politiques et sociales aux États-Unis, il rappelle aussi l’importance du management interculturel. En effet, chaque pays a ses propres dimensions complexes et aux multiples facettes. Bien que la bonne volonté et l’ouverture d’esprit sont indispensables, s’expatrier ou envoyer des collaborateurs vers un pays nécessite une préparation plus spécifique. Les expatriations, fusions, ou autres développements internationaux les plus réussis sont accompagnés par une préparation concrète.
 
Par Eizo Lang-Ezekiel
 
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